« JARMUSCH, TARKOVSKI, WENDERS,
KIESLOWSKI, TÉCHINÉ, CHABROL … »
QU’ONT-ILS DE PARTICULIER CES RÉALISATEURS DONT
J’AI VU TOUTE L’ŒUVRE ?
Ces réalisateurs, qui sont mes préférés, manifestent
tous quelque chose de l’ordre de ce qu’on appelle communément un style. Mais CE QUELQUE CHOSE DE SINGULIER qui n’appartient qu’à eux, ne se résume pas
vraiment au « style ».
Un seul film de toute leur œuvre pourrait suffire à exposer ce qui les
caractérise, mais ILS N’ONT EU DE CESSE de
répéter, de réalisation en réalisation, tout au long de leur carrière, ce que
j’appellerai l’EXISTENCE DE SOI. Ces
réalisateurs SONT DES AUTEURS ; c’est-à-dire qu’ils réaffirment tout au
long de leur travail et en s’intéressant à divers thèmes, UN ENGAGEMENT DE VIE. Celui-ci passera par un point de vue, un ressenti
qui s’avère être essentiel pour eux, mais
QUI RESTERA AU FOND TOUJOURS LE MÊME.
C’est sur cette base que j’aime suivre mes réalisateurs
inspirants. À la recherche de leur personnalité plus que de leur discours. À
chaque film de plus que je vois d’eux ou que j’apprécie de revoir, grandit en
moi l’impression de mieux en connaître leur réalisateur, je veux dire
personnellement. Un leurre bien sûr, même s’il est agréable.
Ce que je cherche à retrouver n’est pas leur opinion
sur le monde qui ne m’intéresse pas tant que cela, mon attente se porte plutôt
sur LA PIERRE ANGULAIRE DE LEUR
PERSONNALITÉ à laquelle, moi spectatrice, je cherche à me raccorder.
Je ne parle donc pas d’ambiance de film non plus, ni
de style esthétique, car ceux-là peuvent varier d’une fiction à l’autre ;
ce que je désire inconditionnellement retrouver à chacune de leur réalisation,
c’est CETTE VALEUR SINGULIÈRE, UNIQUE ET
PRINCIPALE qui anime mes MENTORS.
Chacun d’eux semble avoir une expression de valeur de base sans laquelle il ne
serait pas ce qu’il est ; sans laquelle je ne suivrais pas fanatiquement
toute leur œuvre pour retrouver à chaque nouveau film, ou film revu, sa fibre
récurrente.
CES RÉALISATEURS AUTEURS basent donc d’après moi les fondements de leur travail sur une seule VALEUR SINGULIERE.
JIM JARMUSCH
m’évoque par exemple la NONCHALANCE.
Ses personnages ont beau traverser des galères sévères, qu’ils soient rockeurs ( Strangers than Paradis ), espions ( The Limite of Control ) ou vampires ( Only Lovers Left Alive ) quelque chose dans la pâte du film les rend absolument et irrésistiblement insouciants et fatalistes. Le trottoir, la prison, le cercueil, ou la pénurie de sang frais (pour ses vampires amoureux), ou encore le crime organisé lui-même, ne semblent pas pouvoir barrer le chemin tranquille de ces grands princes, qu’ils soient plongés dans la précarité comme dans la mort (Dead man),.
L’œuvre de Jarmusch, sous cette bonne étoile que
serait la NONCHALANCE, me fait penser
à la façon de vivre de Françoise Sagan, l’écrivaine française qui menait sa vie
dans une sorte de fantaisie. Celle-ci a souvent déclaré qu’elle avait un jour
décidé que son existence serait légère. Je fais ce parallèle avec elle parce
qu’elle a été une sorte de modèle à l’époque dans la culture des jeunes. Je
verrais même Sagan être la parfaite « anti héros » de JARMUSCH,
n’aimant pas tant l’ivresse que l’inertie de celle-ci, et le bienfait qu’une
sorte de NONCHALANCE peut procurer.
J’ai tendance à penser que l’œuvre romanesque de Sagan fait partie de son
scénario de vie, elle a voulu écrire pour rendre sa vie plus intéressante, pour
moins s’ennuyer. J’aime Sagan sans aimer ses romans, je l’aime parce qu’elle
semble avoir été le PERSONNAGE DE SA
PROPRE VIE qu’elle a inventé, et duquel elle a tenu à en extraire tout le
« sérieux » qui la « barbait ». Les personnages de Jim
Jarmush n’ont rien à lui envier.
André TÉCHINÉ
me renvoie à la FRATERNITÉ.
Celle que je m’imagine et qui ressemble aux échanges qu’ont entre eux tous les
personnages de ce réalisateur. Des gens ordinaires que tout sépare, origines,
culture, classe sociale, idéologies, mais qui se fréquentent quand même, et SE
RENCONTRENT VRAIMENT.
Ses films Les égarés, les voleurs, Les témoins, par exemple, mais c’est valable pour
tous ses films, N’ONT DE CESSE QUE DE
S’AFFIRMER DANS LEURS DIFFÉRENCES ET DE RÉAFFIRMER LEUR LIBERTÉ ; c’est
leur force vive au gré des rencontres, des questionnements qui nous imprègne.
Le regard de Téchiné est sans jugement, ce ne sont pas les impositions sociales
qui guident ses personnages – ceux-là laissent plutôt leurs sentiments et leurs
sensibilités conduire leur existence, et c’est leur manière de CHOISIR LEUR
DESTIN.
FRATERNITÉ chez Téchiné commence par FORCE et INSOUMISSION . Ne pas être réduit à des
étiquettes sociales. Ses personnages sont dans la recherche de leur identité et
de son affirmation, ils y parviennent en affrontant leur passion.
Téchiné m’offre ses films, à la manière d’un grand
frère qui m’emmènerait avec lui dans ses sorties transgressives. Je me sens
rassurée par des liens imaginaires de filiation. Paradoxalement ses films me
rassurent, même s’ils m’emmènent dangereusement aux bords des toits,
m’embarquent dans des fugues, ou m’abandonnent dans la nuit à la rencontre
d’étrangers. Téchiné reste vivifiant !
André TARKOVSKI
est russe, mystique bien
sûr, « féminin comme la
Russie… » pourrait-on affirmer par un cliché. TARKOVSKI me fait
penser à Monet, le peintre. Dont il est inutile d’essayer d’approcher un sujet
précis dans sa grande œuvre. Tout comme sur la pellicule de TARKOVSKI, on voit
bien ce qui se présente sur la toile de Monet mais il s’agit d’autre chose. Le
sujet, chez eux, se dissout dans des « AURAS ». Monet, peint l’air,
la poussière, la vapeur, l’humidité, le vide insaisissable. On ne sait pas de
quoi est fait le vide, ce « vide » qui englobe notre monde ou le
porte.
Chez TARKOVSKI, les personnages ne sont pas ces âmes
errantes – comme ont pu parfois l’affirmer certains critiques, je les vois
plutôt comme des personnages attirés magnétiquement vers des sphères
invisibles, au cœur desquelles ils sentent que quelque chose d’innommable se
passe et arrive. MÉTAPHYSIQUE.
IMPRESSION SUPÉRIEURE au cœur de notre humble CONDITION
HUMAINE, une IMPRESSION QUI NOUS
DÉPASSE.
TARKOVSKI m’apparaît comme une sorte de CHERCHEUR ÉSOTÉRIQUE.
Il scrute les Éléments et nous inscrit dans une
recherche de connections à un monde invisible qui, bien que non manifeste, agit
sur nous. Pour moi, il est le réalisateur par définition bouddhiste, ÉVEILLÉ. On parle à son propos de cinéma
mystique et onirique. Je le trouve pour ma part observateur et plus ALCHIMISTE
que simplement contemplateur.
Il cherche la transformation et sait que le cinéma
peut transformer nos perceptions.
On sent aussi que les EXPERIMENTATIONS de ses personnages ne se démarquent pas par leur
tranquillité.
Ses fictions sont très souvent traversées par des
dangers latents et inexpliqués (Stalker, Solaris, Le Miroir ), ses
personnages s’aventurent toujours dans des sphères mystérieuses et
inconnues ; S’aventurent jusqu’au
cœur des « ZONES » psychologiques et de « ZONES » géographiques que ses mises
en scène nous révèlent, nous présentent comme des acteurs latents de quelque
chose de plus, vers quoi ses personnages tendent.
Pour notre condition incarnée d’être humain, l’inconnu
s’apparente en général au danger, mais sous cet éclairage, TARKOVSKI INSCRIT SES PERSONNAGES dans UNE RECHERCHE SUPÉRIEURE DU NON
ENCORE SU. Ils les poussent au
dépassement . Ses personnages sont mus
par une ATTIRANCE VERS AUTRE CHOSE – D’INVISIBLE MAIS D’AGISSANT. Ses films
sont des VOYAGES MÉTAPHYSIQUES. Des
histoires d’interactions secrètes et sacrées entre l’être humain et son
environnement. Environnement élargi au cosmique, via les airs, les végétaux, la
nature.
KIESLOWSKI , par l’atmosphère mystérieuse de ses films, me renvoie, lui, à la PLEINE RESPONSABILITÉ DE NOS ACTES.
Kieslowski est le plus grave de tous, le plus sérieux. « Décalogue » ou « Trois Couleurs – bleu, blanc et rouge »
ses dix films faits en Pologne ou ses trois réalisés en France interrogent le COMMENT UTILISER ET VIVRE AVEC SA
CONSCIENCE.
DÉCALOGUE – film 1 : un père perd son fils
unique dans un accident idiot en plaçant son entière confiance dans les
mathématiques – film 2 : une femme
qui vient d’apprendre qu’elle est enceinte et qui n’a jamais pu avoir d’enfant
jusqu’à sa quarantième année, se demande si elle garde celui de son amant du
fait que son mari qu’elle aime est mourant. Et ainsi de suite, le DÉCALOGUE pose des cas de conscience extrêmes et
suggère parfois de lumineuses évidences, au cœur des troubles psychologiques
les plus grands.
Dans LES TROIS COULEURS, ses derniers films
des années quatre-vingt-dix : trois destins de femme, DESTIN au sens qu’elles (Actrices : Julie DELPY, Juliette
BINOCHE, Irène JACOB) vont voir leur existence transformée par des évènements
extérieurs à leur simple détermination. Ces trois femmes sont portées, à trois
niveaux d’évolution différents par : l’IMPULSION « Blanc »
– l’INTUITION « Bleu » – l’OBEISSANCE « rouge ».
Dans « BLANC » la femme du couple n’a
aucune empathie pour son prochain. Le mari de celle-ci va la forcer à le
reconsidérer, en travaillant lui-même sur sa propre estime de soi qu’il avait
négligée.
« BLEU » nous révèle une toute
autre femme, de grand talent mais le cachant derrière la célébrité de son mari
musicien. La mort de celui-ci, ainsi que de sa fillette, vont la pousser à
prendre une autre place dans sa propre vie. Son parcours de retrait durant le
deuil, l’amène à lutter contre des signes « du destin ». Sa bonté
intérieure est en conflit avec sa douleur momentanée, le film raconte sa
remontée vers la lumière.
« ROUGE »
nous dépeint une jeune femme plus aventureuse, plus jeune et plus confiante que
les deux précédentes. Malgré un petit drame qui touche son jeune frère, elle
accepte de suivre positivement et par jeu, sans douter, tous les signes que la
vie semble lui envoyer pour la guider. C’est ainsi qu’elle rencontre par un
curieux « hasard » un vieux juge à la retraite – Jean-Louis
TRINTIGNANT, qui épie un monde dérangeant qu’il a mis sur écoute. Dans un
univers chaotique, elle doit lui tenir tête parce qu’il se moque de son rapport
naïf au monde et de son aptitude généreuse. Une lutte s’installe entre la
dérision du juge cynique et la « détermination naturelle » de la
jeune femme qui crée de véritables liens. Avec elle, KIESLOWSKI installe une
véritable ÉCOUTE ET ACCEPTATION DE CE QUI
« EST », SANS ANTICIPATION DE CE QUI ADVIENT. Dans les films de KIESLOWSKI, NOTRE RESPONSABILITÉ SE RÉSUME
À CONSTRUIRE SA VIE instant après instant. Pour lui AUCUNE FATALITÉ n’est à l’œuvre. Plutôt une sorte d’intelligence
supérieure de circonstances qui nous guiderait, à condition de ne rien
anticiper.
J’aime cette CONFIANCE
en l’être humain que le regard inquiet – ne nous y trompons pas, de KIESLOWSKI propose. Ses
questionnements viennent de son « cœur » ; il nous indique que LA CONFIANCE PEUT DÉCOULER D’UNE BIENVEILLANCE INSUFFLÉE PAR LE LANGAGE
ET LES SIGNES D’UN MONDE – d’interconnexion , QU’IL FAUT DÉCOUVRIR et
APPRENDRE A DÉCODER, Et auquel les personnages de ses films sont confrontés
malgré eux. Certains sont touchés par la grâce, d’autres plus
problématiquement. Quelque chose de fort positif se dégage donc des films de
KIESLOWSKI, nous prédisposant à un ÉVEIL.
CHABROL quia souvent construit ses
scénarios à partir de faits divers, quand ce n’était pas en totalité (comme par
exemple Violette Nozière
– 1978), est un réalisateur qui traite, quant à lui, de la dite «
folie », du crime dit « crapuleux », des mensonges
hypocrites, des déviances sexuelles, de la lâcheté, bassesse, bêtise,
conformisme, des injustices et des abus du Pouvoir que confère l’argent ou bien
le sentiment de supériorité. « Fréquentations scénaristiques »
accablantes, me direz-vous. Il n’en reste pas moins que CHABROL représente pour
moi, à travers son œuvre, la valeur de l’HONNETETÉ.
Il affirmait lui-même n’avoir eu de cesse que de déconstruire les valeurs
bourgeoises étouffantes, véhiculées par le souci permanent des apparences,
des secrets bien gardés, des non-dits, la conservation à tout prix d’un
patrimoine symbolique et réel. CHABROL a dépeint autant les riches biens logés
que les pauvres qui cherchaient l’ascension. Ses films se veulent des peintures
réalistes, où les luttes de pouvoir, souvent à travers des bagarres matérielles
et les strates sociales se manifestent (Betty
–1992, La cérémonie -1995).
Mais aussi où des luttes plus intimes font drame (Le
boucher -1970, Juste avant la nuit -1971, Merci pour le chocolat – 2000) ou encore
(Que
la bête meure – 1969) une fiction où un problème personnel crée un
malaise collectif…
Pour résumer, je dirais que la photographie,
l’atmosphère, et le style ne suffisent donc pas pour mon adhésion
inconditionnellement à une œuvre cinématographique. Il y a bien des
réalisateurs dont j’aime la mise en scène, et surtout la photographie – celles
de Bella Tar par exemple, mais dont les valeurs peuvent me déprimer, ses films
me semblent fortement nihiliste, et n’y
trouvant pas de valeur humaine ajoutée, son œuvre ne m’absorbe pas.
Pour moi l’auteur est celui qui se sent responsable du
monde dans lequel il œuvre. Je ne trouve pas de bienveillance dans toutes les
œuvres, aussi les réalisateurs ou les réalisatrices qui s’en préoccupent
retiennent toute mon admiration. À mon sens, ceux-là aident à mieux vivre, nous
encouragent dans la connaissance de soi et du monde.